Phénoménologie en soins palliatifs

UNE ARTICULATION CRÉATIVE ET HYPNOTIQUE



Dans le monde du soin, l’hypnose a regagné sa légitimité par son efficience et son utilisation comme « technique ». Il semble néanmoins nécessaire de replacer ce que l’on appelle « hypnose » comme une approche naturelle, physiologique, relationnelle, et même existentielle.
L’hypnose et les soins palliatifs partagent un objectif commun: l’accompagnement. Rejoindre la personne là où elle se trouve pour l’accompagner dans la direction qu’elle souhaite. Cette remise en mouvement part de l’individu, au centre d’un système, qui est ici appréhendé dans une période de vie très particulière : la fin de vie.
Le second point de convergence majeur entre l’hypnose et les soins palliatifs, qui à l’heure de l’evidence-based medecine ne va pas de soi, est l’autorisation d’un réel engagement dans la relation, dans un souci éthique de celle-ci.

En effet, en tant que professionnel de soins, médecin a fortiori, nous apprenons un nouveau regard sur le vivant dans nos processus formatifs, celui de la pathologie, de la différence entre le normal et le pathologique, à partir duquel on doit interpréter, soigner et même guérir, dans notre société de culture et de tradition occidentale. La toute-puissance est enseignée et le savoir par la connaissance valorisé.

Alors, qu’en est-il lorsqu’on ne peut plus guérir ? Qu’en est-il de la rencontre, de l’écoute, entre êtres humains, au-delà ou en deçà des fonctions, professions ? N’est-elle réservée qu’aux psychologues ou aux psychiatres ?

Bien sûr que non, et nous voyons tous les jours en soins palliatifs à quel point n’importe quel membre de l’équipe, qu’il soit soignant ou non, peu importe son âge, son statut, participe à ce qui prévaut : la qualité relationnelle.

Comme l’avait souligné avec bon sens G.Canguilhem : « C’est donc bien aujourd’hui en droit, sinon actuellement en fait, parce qu’il y a des hommes qui se sentent malades, qu’il y a une médecine, et non parce qu’il y a des mmédecins que les hommes apprennent d’eux leurs maladies. »1. Nous le voyons et l’expérimentons chaque jour, à quel point une mise en savoir a fini par se normaliser, amenant une posture en regard, dictant une interprétation de ce qui est attendu de la médecine, imprégnée d’un discours médical normé et dont l’accompagnement par hypnose se détache.

Dans un ancrage systémique, G.Bateson remarquait, concernant les élèves, que : « Dès leur plus jeune âge, on leur apprend à définir une chose par ce qu’elle est censée être et non par ses relations avec les autres éléments »2. Nous nous inscrivons ici dans cette approche prenant en compte le système et ne déterminant pas les choses a priori mais par ce que la personne a à en dire à travers les relations.

Une approche donc centrée sur l’individu, inscrit dans un système relationnel, et dans un monde, celui des phénomènes et de la façon dont ils émergent dans l’histoire du sujet.
Une autre forme de savoir peut alors être à l’oeuvre et l’éclairage phénoménologique ancré dans la pratique ouvre ici toute une fécondité de l’hypnose en soins palliatifs.

La phénoménologie est ce courant qui a pris naissance en Allemagne avec E.Husserl à la fin du 19ème siècle et qui s’est poursuivi tout au long du 20ème siècle jusqu’à ce jour grâce à des philosophes comme M.Heidegger, M.Merleau Ponty, M.Henry ou encore P.Ricoeur. Elle s’intéresse à l’étude des phénomènes, et plus précisément à ce qui permet à un phénomène d’être un phénomène. Autrement dit, non pas tant au phénomène lui-même, par exemple de savoir qu’une douleur chez cette patiente est neuropathique et qu’elle est liée à la lésion de tel nerf par envahissement tumoral (…), mais bien à ce qui fait que ce savoir a pu émerger, ses modalités d’apparition au patient, par exemple : « Quand est-ce que cette sensation est entrée dans votre vie ? », « Vous parlez de cette brûlure docteur ? ». L’abord de ce qui pose problème pour le patient est alors appréhendé tout à fait différemment par le praticien que ce qui est convenu habituellement dans l’anamnèse classique. Il rend compte de l’approche phénoménologique de la vision du monde de ce qu’on appelle « hypnose » dans la relation.

Une nuance supplémentaire est à apporter : celle du phénomène dans son contenu, c’est à dire ce qui apparaît, et celle de la phénoménalité, c’est à dire le fait d’apparaître. Une distinction qui a toute son importance car ce double aspect du phénomène est à l’oeuvre et dévoile pour les patients l’évènement, et même l’avènement. - « J’angoisse ! Et je ne sais pas quoi faire ! » me dit Charlotte, une jeune femme de trente ans en fin de vie lorsque je la rencontre. Les médicaments ne calment pas cette sensation. - « Ne faites rien. Observez, qu’est ce qui se passe dans le corps ? » - « C’est là ! » me dit-elle en mettant sa main gauche à plat sur le thorax. - « Et à quoi cela ressemble ? » - « A une plaque lourde, très lourde, épaisse, grise… » - « Faites venir la mort, devant, là maintenant ! » - « Ce n’est que du noir ! » - « Qu’est ce qui se passe dans le corps lorsque vous observez ce noir ? » - « La plaque sur la respiration, elle est plus lourde, elle chauffe. » - « Continuez, vous faites cela très bien ! Observez, nous avons tout le temps d’être surpris… »


GUILLAUME BELOURIEZ
Médecin algologue. Travaille en soins palliatifs
à la Maison Médicale Jeanne Garnier, à Paris.
Pratique l’hypnose et les thérapies brèves en soins
palliatifs et en cabinet à Paris
et à Strasbourg. Doctorant en
philosophie.
Formateur au Collège d'Hypnose et Thérapies Intégratives de Paris
Il intervient dans le cadre du module complémentaire "Hypnose et Douleur chronique"

L'interview du Dr Guillaume Belouriez lors du Congrès Mondial d'Hypnose de Paris 2015.

Edito du Dr Thierry Servillat. Historique !
Le congrès de Paris a été historique, c’est évident ! Déjà pour les praticiens français bien sûr, qui ont pu de nouveau vivre la joie de voir chez eux, quelques jours après un rapport INSERM favorable à leurs pratiques susciter une affluence record (c’est la première fois qu’un congrès d’hypnose mobilise plus de 2500 participants) et un retentissement médiatique considérable (et dans la très grande majorité des cas favorable lui aussi).

Les âges clandestins. Un réservoir de ressources. Dr Bruno Dubos
L’utilisation de la notion d’« âge clandestin » est devenue, en tout cas en France, un grand « classique » de l’hypnothérapie. Il était donc nécessaire qu’un de ses praticiens expérimentés en précise la pratique. Vive l’hypno-systémique ! J’ai rencontré les âges clandestins il y a quelques années, de façon fortuite, à la plage, assis sur le sable.

La consultation hypnotique. Hypnose en médecine générale
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Deux jeunes médecins généralistes récapitulent, sous la forme d’un monologue adressé à un patient, la place que l’hypnose a prise dans leur pratique quotidienne. Tiens, Michel, je vois ton nom sur le planning. Nous avons rendez-vous tout à l’heure. Je suis ton médecin depuis plusieurs années. On se fait confiance... J’ai une faveur à te demander : j’aimerais que tu m’aides à parler de quelque chose qui a germé dans ma tête depuis quelque temps.

Accroître la résilience. Dialogue entre hypnose et psychlogie positive. Pascale Haag
Le monde de l’hypnose commence depuis quelques années à s’intéresser à la psychologie positive. Lors d’une intervention remarquée lors du congrès de Paris, Pascal Haag a montré comment, pourtant, ces deux approches peuvent se fertiliser mutuellement. Comparée à l’hypnose, dont on peut faire remonter l’histoire au XVIIIe siècle en Europe, la psychologie positive, née deux siècles plus tard de l’autre côté de l’océan Atlantique, est encore presque une enfant.

L’hypnose et les tics. Un nouvelle proposition d’approche. Constance Flamand-Roze
Pathologies socialement très handicapantes, les tics laissent bon nombre de praticiens très démunis. Comme dans beaucoup de ces troubles dits « fonctionnels », l’hypnose pourrait-elle, au moins, apporter un complément thérapeutique précieux ? L’histoire d’Alexis. Alexis a 12 ans ; il a de bonnes notes au collège, et c’est un jeune garçon plutôt inhibé. Il est apprécié des professeurs pour son calme et sa discipline.

L’hypnose au Maroc. Rituels anciens et pratique moderne
Par Myriam NCIRI, article écrit avec le concours d'S.Housbane, M.Bennani Othmani et Z.Serhier, du Laboratoire d’informatique médicale, Faculté de Médecine et de Pharmacie de Casablanca (Maroc). Le Congrès de Paris a été l’occasion d’échanges interculturels intenses, et de travaux pour les susciter. La présentation de Myriam Nciri et de son équipe a été parmi les contributions les plus remarquées. Dans le cadre du 20ème congrès international d’hypnose sur le thème « Hypnose, Racines et Futur de la conscience », nous nous sommes interrogés sur la place de l’hypnose dans la pratique médicale marocaine.

Pourquoi la musique ? Dr Thierry Servillat
Après avoir abordé des sujets aussi différents que Socrate et la corrida, Francis Wolff, professeur de philosophie à l’Ecole Normale Supérieure - la fameuse Normale Sup - publie un livre sur un sujet qui lui tient très à coeur et qu’il étudie depuis des années : la musique. En posant une question qui peut paraître incongrue : pourquoi la musique ? Comme il se trouve que le monde de l’hypnose thérapeutique s’intéresse de plus en plus, après avoir privilégié l’intérêt pour le visuel, au sonore, à l’auditif, à la musique donc, ainsi qu’à la danse bien sûr, il paraît opportun de s’intéresser à cette somme de plus de 400 pages, denses mais claires, et surtout magistrales dans le bon sens du terme.

« Corrigez-moi si je me trompe ! » Quiproquo , malentendu et incommunicbilité. Dr Stefano Colombo
L’autre jour, j’allais en ville pour m’acheter… rien du tout. Je vagabondais dans les rues commerçantes. Mieux dit, dans les rues où il y a des commerces. Avez-vous déjà vu une rue qui commerce ?« Alors ? Tu l’achètes cette poubelle ou quoi ? Allez, je te fais un prix, qu’estce que tu proposes ? » Et le piéton, courbé en avant, les yeux rivés sur la bouche d’égout qui vient de lui parler, de répondre : « Mais je ne veux pas de poubelle, laisse-moi tranquille.

Une nouvelle définition internationale de l’hypnose ? Antoine Bioy
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Rédigé le 14/01/2016 modifié le 03/08/2019

Laurent Gross, Hypnothérapeute à Paris, Thérapeute EMDR - IMO. Formateur & Président du… En savoir plus sur cet auteur

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